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Vengeance privée Vs Banditisme : deux faces d’une même médaille antidémocratique



Par décence ou par goût, on pourrait indéfiniment réfléchir sur l’appellation égrillarde du mouvement ‘’populaire’’ (Bwa Kale) visant à mettre fin ou un frein au règne des gangs armés dont la toute-puissance fait reculer même les détenteurs de la puissance publique (l’Etat), concédant que la souveraineté de la République, qui devrait pourtant être absolue et permanente, est morcelée en des « territoires perdus ». En revanche, on peut réfléchir utilement sur la ‘’violence réactionnelle’’ qui caractérise ce mouvement ‘’populaire’’ vu par certains, à tort ou à raison, comme une réponse pratique et utile aux bandits sans foi ni loi, sans feu ni lieux, qui rendent la vie dure et impossible en Haïti, depuis quelque temps. Même si, contrairement à la législation française dont elle est pourtant à bien des égards la transposition, la législation haïtienne n’invoque pas littéralement la « vengeance privée » comme une infraction punissable, au demeurant elle (la législation haïtienne) punit le meurtre, l’assassinat et toute tentative ou tentation à se faire justice. Le Code pénal haïtien, aussi vieux soit-il (188 ans), est clair et sans équivoque en ce qui concerne : les meurtres et autres crimes capitaux (lisez l’article 240 et suivants), les associations de malfaiteurs (lisez l’article 224 et suivants). Aussi, le Code d’instruction criminelle, aussi âgé que le CP, en ses articles 19 et 20, ordonne : « Toute autorité constituée, tout fonctionnaire ou officier public, qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquerra la connaissance d'un crime ou d'un délit, sera tenu d'en donner avis sur-le-champ au commissaire du gouvernement dans le ressort duquel ce crime, ou ce délit aura été commis, ou dans lequel le prévenu pourrait être trouvé, et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y seront relatifs ». « Toute personne qui aura été témoin d'un attentat, soit contre la sûreté publique, soit contre la vie ou la propriété d'un individu, sera pareillement tenu d'en donner avis au commissaire du gouvernement, soit du lieu du crime ou délit, soit du lieu où le prévenu pourra être trouvé ». Donc, vieille comme le monde, la coutume de la vengeance privée, que scrutent les anthropologues des sociétés traditionnelles, qui en perçoivent des formes de survivance dans le rituel du lynchage, s’oppose au glaive punitif et réparateur de l’Etat moderne. Nous ne le dirons jamais assez, la vengeance privée détruit le contrat social. Selon les textes légaux susmentionnés, le pacte social du droit de punir revient à l’Etat. Que l’on se réfère aux textes ‘’nationaux’’ fondateurs ou aux conventions internationales dont Haïti est signataire, le constat est clair que la sécurité dans toutes ses déclinaisons reste et demeure la prérogative des autorités établies.

 

Bonjour Légitime défense !

Sur ce point, soyons sérieux, très sérieux, et vite ! Eloignée de la légitime défense, reconnue et admise par la législation haïtienne (article 273 du Code pénal), la vengeance contrarie les espoirs que la modernité pénale place dans la construction d’une société démocratique. La colère populaire spontanée et certainement aggravée tant par l’impéritie de l’actuel Gouvernement que par le dysfonctionnement du système judiciaire ne peut être affublé ni s’affubler du costume légal de la Légitime défense. A ce propos, la mise en garde de la Bâtonnière de l’ordre des Avocats de Port-au-Prince, Marie Suzy Legros, à la Ministre de la Justice et de la Sécurité Publique, Emmelie Prophète, la première à invoquer l’article de 273 du Code pénal, est parfaitement éloquente : « L’article en question n’est donc nullement à entendre comme une réponse programmée par le législateur pour suppléer à l’inaction des autorités publiques, alors même que celles-ci ont explicitement proclamé leur défaillance par l’appel à l’intervention étrangère, tout en continuant paradoxalement à se maintenir comme dépositaires des fonctions de maintien de l’ordre étatique ». De plus, les précisions apportées et/ou précautions prises par le législateur dans l’article 274 du CP balaient toutes les bonnes ou mauvaises tentations d’assimiler le mouvement ‘’populaire’’ ‘’Bwa Kale’’ à la légitime défense : « Sont compris dans les cas de nécessité actuelle de défense, les deux cas suivants :

1°) Si l'homicide a été commis, si les blessures ont été faites, ou si les coups ont été portés en repoussant pendant la nuit, l'escalade, ou l'effraction des clôtures, murs ou entrée d'une maison ou d'un appartement habités, ou de leurs dépendances ;

2°) Si le fait a eu lieu en se défendant contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence ».

Ce point étant clarifié, disons en dernier lieu que, même si nous ne sommes plus au temps où Jésus conseillait de tendre la joue gauche quand quelqu’un nous gifle sur la joue droite, il est un fait que nous avons fait choix du pire des régimes à l’exception de tous les autres : la démocratie.

Mise en veilleuse de la Démocratie

On est libre de s’en réjouir ou s’en désoler que les citoyens, longtemps opprimés par des gangs armés sans idéologie connue ou défendue, soient parvenus à la nécessité de se faire aussi sauvage que le sauvage, rien que pour avoir une certaine paix. D’ailleurs, même le défenseur des droits de l’homme le plus invétéré perçoit, dans sa tour d’ivoire, le signe avant-coureur de cette paix souhaitée mais non encore retrouvée, qui se traduit dans l’absence de kidnapping constatée dans certaines zones marquées depuis que la Justice populaire s’impose de tout son poids. A défaut de sauver son âme, le « peuple » a décidé de sauver son être. Nan yon peyi kote w pa ka jwenn menm yon ti moso Leta pou w bouyi te, ale wè pou w ta jwenn sekirite ak jistis…, personne ne peut oser reprocher à la foule son acharnement empreint d’inhumanité contre des bandits qui tirent un plaisir indicible à juger en dernier ressort de la vie ou de la mort de tous. Même si le ‘’Bwa Kale’’ suscite une certaine sympathie spontanée compréhensible, nous devons reconnaitre et admettre qu’aujourd’hui plus que jamais nous ne sommes pas en démocratie. D’ailleurs, un sociologue haïtien, Laënnec Hurbon pour ne pas le citer, n’a-t-il pas conclu depuis longtemps déjà que « la démocratie haïtienne est introuvable ». N’être pas en démocratie n’est pas synonyme d’incompréhension de la démocratie et de ses exigences. Ceux qui comprennent la démocratie, régime qu’on ne saurait réduire à une simple formule fut-ce même celle d’Abraham Lincoln (gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple), se doivent d’alerter sur les menaces dont le mouvement ‘’Bwa Kale’’ est porteur ; lesquelles menaces peuvent déstabiliser l’ordre social démocratique. L’histoire haïtienne nous montre que, des rêves généreux, mis en pratique, finissent souvent en cauchemars monstrueux… Comme la vertu, la démocratie n’est pas photogénique. Entendez par-là que vivre en démocratique c’est souvent agir contre soi, c’est se mettre soi-même, dirait-on, en état d’arrestation. C’est un défaut majeur de jugement et un déficit grave de vision de croire que même si le ‘’Bwa Kale’’ ne nous permettra pas d’atteindre le paradis, il nous sortira quand même de l’enfer. Pour sortir Haïti véritablement du chaos, il nous faut nous entendre et nous atteler à la re-fondation de l’Etat (à la radicalisation de la démocratie, avons-nous envie de dire). Pa gen wout pa bwa…, menm si l kale ! A ceux qui, par indignation sélective, rechignent toujours à supporter les mouvements populaires violents tournés contre les mauvais ordres politiques et économiques établis, mais qui voient dans le ‘’Bwa Kale’’ un pain béni, nous rappellerons en dernier ressort que : la démocratie n’est pas un analgésique ou un antalgique que l’on s’administre en cas de douleur de quelque nature qu’elle soit, encore moins une roue de secours utile en temps de crevaison. Au sens kantien de l’expression, dirions-nous, la démocratie est et doit être un impératif catégorique.


GeorGes Castiba Allen

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