Haïti-Musique : Dadou Pasquet, un géant de la musique haïtienne s'est éteint
- etrof16
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Dernière mise à jour : il y a 20 minutes

Haïti vient de perdre l’un de ses plus grands créateurs. André « Dadou » Pasquet, né le 19 août 1953, s’est éteint dimanche selon une note officielle de la famille, laissant derrière lui une œuvre monumentale et une empreinte indélébile dans la mémoire musicale du pays. Guitariste virtuose, compositeur prolifique, arrangeur visionnaire, il aura traversé cinq décennies en imposant un style, une audace et une exigence artistique qui ont redéfini le konpa moderne.
Figure majeure et pourtant souvent mal mesurée à sa juste valeur, Dadou Pasquet fut l’un des innovateurs les plus marquants de notre époque. Sa musique, sensuelle, rapide, parfois mélancolique mais toujours authentique, refusait toute complaisance. Elle était le reflet d’un créateur total, entier, animé par l’expérimentation et par une quête permanente d’excellence.
Au début des années 1970, il rejoint Tabou Combo et s’impose immédiatement. Avec Shoubou (Roger Eugène) et Yvon « Biassou » Mondésir, il forme un trio vocal d’une rare énergie, contribuant à quatre albums emblématiques : Canne à sucre, Respect, 8th Sacrement et The Masters. Le jeune guitariste, déjà remarqué par Raymond Sicot, Raoul Guillaume ou Richard Duroseau, démontre une maturité musicale fulgurante. Son jeu souple, nerveux et innovant séduit tous les publics, des plus traditionnels aux plus exigeants.
Dadou Pasquet évolue alors au cœur d’un ensemble mythique : Herman Nau, Yves « Fanfan » Joseph, Dof Chancy, Ernst Marcelin, Yvon Ciné, Yvon « Kapi » André, Jean-Claude Jean… un environnement qui le propulse, mais qui l’incite aussi à tracer sa propre voie.
Le 24 juin 1976, il fonde Magnum Band, « La Seule Différence ». Cette date marque l’un des tournants majeurs de la musique haïtienne. En y apportant une dimension plus expérimentaliste, plus caribéenne et plus cosmopolite, Dadou crée un style inédit, nourri de reggae, de calypso, de jazz, de blues et de funk, sans jamais trahir l’essence du konpa.
Ses textes, d’une grande profondeur, s’allient à une orchestration d’avant-garde. Le catalogue est vaste, riche, marquant : Expérience, Jéhovah, Grann, Chèche lavi, Island, Sans frontière, The Best in Town, Révélation, Ashdei, Dife, Pike devan, Congo nan vodou, entre autres.
L’album 30 ans / Magnum Band, La seule différence (2007) couronne une carrière jalonnée de succès, précédé par Les Archives de Dadou Pasquet (1998) qui révélait déjà la profondeur d’un œuvre en constante évolution.
Dadou Pasquet travaillait avec une obsession du détail. Il détestait la facilité, combattait la médiocrité, refusait l’artifice. Sa mission était claire : faire de la musique haïtienne un espace d’exigence, un lieu de recherche, un laboratoire vibrant. Cette rigueur a parfois pu déranger ; elle est aujourd’hui reconnue comme l’une des clés de sa grandeur.
À une époque où la trivialité sonore et l’appauvrissement thématique envahissent souvent la scène, Dadou se distinguait comme un artisan rare, animé par une vision, par la certitude que l’art doit élever. Il était, en ce sens, un mystique, un chercheur, un prophète musical, un artiste en perpétuel devenir.
La disparition de Dadou Pasquet laisse un vide immense. Mais elle ouvre aussi la voie à une reconnaissance renouvelée. Son œuvre, dense, audacieuse et intemporelle, continuera d’accompagner les générations présentes et futures.
Il fut plus qu’un guitariste hors pair : il fut un créateur de sens, un architecte sonore, un bâtisseur de liberté. Et l’histoire, qui parfois tarde à comprendre la juste dimension de ses géants, lui réservera sans nul doute une place de premier plan.
Dadou Pasquet s’en va mais laisse une œuvre immortelle.
Yves Paul LÉANDRE















