Avalanche de ‘’critiques acerbes’’ sur l’Avant-projet de Constitution
- Marvens Pierre
- 29 mai
- 6 min de lecture

Visiblement satisfait, Enex Jean-Charles, président du Comité de pilotage de la conférence nationale, a remis au Conseil présidentiel de transition et au Gouvernement, le 21 mai 2025, l’Avant-projet de la nouvelle Constitution. Le même jour la Primature s’est fendue d’un communiqué officiel au ton panégyrique : « La République d’Haïti a franchi aujourd’hui une étape importante dans le cadre du processus de transition démocratique. Lors d’une cérémonie empreinte de solennité, tenue à la Villa d’Accueil, les membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), accompagnés du Premier ministre, Monsieur Alix Didier Fils-Aimé, ont officiellement reçu, des mains de l’ancien Premier ministre et président du Comité de pilotage de la Conférence nationale, Monsieur Enex Jean-Charles, l’avant-projet de la nouvelle Constitution de la République. Cet acte, à la fois symbolique et fondamental, témoigne des efforts constants déployés par le pouvoir intérimaire pour guider la Nation vers un avenir de stabilité, de légitimité institutionnelle et de progrès durable. Dans un esprit de responsabilité et de service public, les autorités de la transition réaffirment leur engagement à œuvrer sans relâche à la réalisation des objectifs prioritaires : la refondation de l’État, le rétablissement de la confiance citoyenne et la consolidation d’un ordre démocratique inclusif ».
Très vite, les réactions autour de ce document ‘’fondamental’’ se sont enchainées dans la presse. Parmi elles, celle du Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Port-au-Prince, Me. Patrick Pierre-Louis, qui se veut aussi tranchant que procédural : « Il pourrait s'agir d'une "proposition d'avant-projet" et non d'un "avant-projet". Le Comité de pilotage ne dispose pas des compétences nécessaires pour proposer un avant-projet de Constitution ». Soulignant que l'Accord du 3 avril ne prévoit pas de remplacer la Constitution de 1987 par une nouvelle, l’homme de loi a également précisé que l'Accord ayant donné lieu au CPT n'a pas créé un vide juridique et s'inscrit dans la continuité juridique de la Constitution de 1987, laquelle prévoit elle-même les procédures de sa modification. Mettant en garde contre ce qu’il appelle un ‘’coup d’Etat constitutionnel’’ susceptible de créer une instabilité juridique et politique au plus haut niveau de l'État et une crise de société, Me. Patrick Pierre-Louis qui intervenait sur les ondes de Magik9, estime que le Comité de pilotage de la Conférence nationale ferait mieux de suspendre les démarches en cours visant à doter le pays d’une nouvelle Constitution et envisager la poursuite des discussions autour de la Conférence nationale.
La diaspora mal servie par l’Avant-projet constitutionnel
Pour avoir été Président de la Commission Spéciale parlementaire sur l’amendement de la constitution en 2018 et Coordonnateur du Groupe de Travail sur la Constitution (GTC) en 2024, l’ancien député Jerry Tardieu s’est fait l’impérieuse obligation de se prononcer sur le texte constitutionnel préparé par l’ancien Premier ministre Enex Jean-Charles et ses pairs, tout en témoignant que celui-ci ne reflète pas la vision des forces vives du pays. « Contrairement aux recommandations du GTC, l’avant-projet de texte constitutionnel n’intègre pas la diaspora mais l’exclut des questions nationales. Et c’est la probablement la grande forfaiture de cette proposition de nouvelle constitution. En effet, celle-ci maintient les dispositions qui prévoient deux catégories d’Haïtiens : les « Haïtiens » et les « Haïtiens d’origine » qui n’ont pas les mêmes droits notamment dans leur habilité à concourir aux élections ou occuper certains postes. Or la totalité des secteurs rencontrés par le GTC propose de faire tomber cette barrière pour ne retenir qu’une seule catégorie d’Haïtiens. En ce sens, le nouveau texte constitutionnel enclenche une marche-arrière. L’article 10 renvoi à une loi sur la nationalité qui date de 1984 sous l’ère Duvalier, laquelle prévoit que la double nationalité n’est permise sous aucun prétexte. Chemin faisant, le nouveau texte constitutionnel enlèverait aux Haïtiens de la diaspora la possibilité de se porter candidats aux élections. Contre toute attente, le texte ne leur offre même pas la qualité d’électeurs. En effet, il n’est fait mention nulle part dans l’avant-projet de constitution du droit de vote des Haïtiens vivant à l’étranger. Cette demande a pourtant été produite par la quasi-totalité des acteurs de la vie nationale consultés par le GTC. A ceux qui estiment que le droit de vote des Haïtiens pourrait éventuellement figurer dans la prochaine loi électorale, nous disons que la redondance dans ce cas ne dérange pas puisque rien ne dit que loi électorale à venir offrira cette perspective à la communauté expatriée. Si ce droit de vote était consacré par la loi-mère, il offrirait une victoire historique à notre diaspora », a écrit l’ancien représentant de la commune de Pétion-Ville à la chambre basse qui voit dans le document remis aux autorités le 21 mai dernier un ‘’grand monstre’’.
Un éditorialiste dit ‘’NON’’ au retour du dictateur
Dans un éditorial paru le 26 mai 2025, le rédacteur en chef du journal Le Nouvelliste a dit, sans prendre de gants : « Attention au retour du dictateur ! ». Pour Frantz Duval, près de 30 ans après l’adoption de la Constitution de 1987, les problèmes auxquels le pays est confronté viennent plus des hommes que des institutions créées par la charte fondamentale. « Les difficultés viennent avant tout du non-respect des prescrits constitutionnels que des freins induits par le texte. Cela dit, depuis 2020, avec la disparition successive de la Chambre des députés, du Sénat, de tous les élus, de toutes les options constitutionnelles et l’invention du président tout puissant avec Jovenel Moïse, du Premier ministre sans contrepouvoir avec Ariel Henry et aujourd’hui du CPT+PM fusionnel, on se rend compte qu’avoir tous les pouvoirs, sans partage ni contrôle, ne permet pas aux chefs de fournir de meilleurs résultats que ceux qui détenaient un pouvoir bridé par l’encadrement de la Constitution de 1987. Et pourtant, fort de savoir et de vivre tout cela, comme elles avaient suggéré le regroupement des gangs, des forces de la communauté internationale installées en Haïti poussent depuis des années pour une nouvelle constitution qui octroierait tous les pouvoirs au président haïtien. L’international rêve d’avoir un interlocuteur unique en Haïti. Un président roi. Un dictateur élu. Avec l’avant-projet de constitution, c’est chose faite. Le prochain président, si le texte passe en l’état, sera chef de l’État, chef de gouvernement, nommera seul son Premier ministre et son gouvernement, nommera à tous les postes de l’administration publique directement s’il le souhaite, commandera directement les Forces armées d’Haïti et la Police nationale d’Haïti, aura droit de veto sur toutes les décisions des autres pouvoirs, ne sera freiné par aucun d’eux. Le Parlement de deux chambres n’aura rien à dire ni sur le choix du gouvernement ni sur son renvoi. Alors qu’aux États-Unis d’Amérique, le président voit ses ministres validés par les parlementaires, alors qu’en France le Premier ministre et son gouvernement peuvent être démis par le Parlement, le modèle haïtien prévu dans le projet de constitution 2025 ne prévoit aucune soupape, aucun frein au pouvoir du président », écrit FD dans les colonnes du plus vieux quotidien d’Haïti.
Un économiste plaide pour une Constitution garantissant le développement
Dans le débat ouvert sur la Constitution depuis la remise de l’Avant-projet aux autorités en place, l’économiste Thomas Lalime a jugé bon de dire son mot. Rappelant qu’Haïti fait face à une crise multidimensionnelle où l'effondrement institutionnel alimente la stagnation économique et l'exclusion sociale, le Docteur en économie juge qu’« une réforme constitutionnelle apparaît comme un levier stratégique pour repenser les fondements de la gouvernance, restaurer la légitimité de l’État et créer les conditions d’un développement durable ». Soulignant que l’histoire d’Haïti est marquée par une instabilité politique chronique, des transitions non constitutionnelles et une crise de gouvernance persistante, Thomas Lalime croit dur comme fer qu’« nouvelle constitution représente une opportunité de restaurer la confiance dans l’État en clarifiant les règles de fonctionnement des pouvoirs publics, en réduisant les zones grises juridiques et en renforçant les contre-pouvoirs. La stabilité institutionnelle est un prérequis à la performance économique à long terme ».
Pour l’ancien étudiant du CTPEA, plus qu’un simple texte juridique, la constitution est un instrument stratégique de développement, qui établit les règles de confiance, oriente les choix économiques et sociaux, et structure la gouvernance nationale. « Lorsqu’elle est respectée et portée par des institutions solides, elle constitue un atout fondamental pour bâtir une croissance durable, équitable et inclusive.
Une nouvelle constitution peut refonder le lien entre l’État et les citoyens, aujourd’hui complètement rompu en Haïti. Elle peut servir de cadre pour une réinvention du projet national fondé sur des principes partagés : souveraineté populaire, justice, équité et inclusion. Encore faut-il que cette réforme soit menée de manière participative, transparente et inclusive, sans reproduire les logiques de confiscation politique du passé », argumente-t-il, tout en soulignant qu’une nouvelle constitution n’est pas une panacée, mais elle peut établir les fondations institutionnelles d’un développement durable et équitable, et qu’elle doit être conçue comme un outil stratégique pour reconstruire la légitimité publique, sécuriser l’environnement économique, garantir les droits fondamentaux et refonder la gouvernance sur des bases démocratiques.
Les critiques visant l’avant-projet de Constitution de soixante-et-une (61) pages et de 240 articles qui porte les signatures d’Enex Jean-Charles, de Gédéon Charles, d’Edelyn Dorismond, de Norah A. Jean-François, de Kerlande Mibel, de Franck Lauture, et de Wideline Pierre, de Joram Vixamar, sont pour le moins virulentes. Dans la foulée des voix dénonciatrices, celle de l’Association Professionnelle des Magistrats s’élève également pour déplorer le manque de garanties pour l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’absence de consultation du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) et des associations de magistrats. En somme, l’APM voit dans l’avant-projet de constitution une atteinte au principe de participation démocratique.
Georges E. ALLEN
HPN
Comentários