Haïti-Société : 18 novembre 2025, revisiter les méringues de Boukman Eksperyans
- etrof16
- 18 nov.
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Le groupe Boukman Eksperyans est reconnu non seulement pour le talent de ses musiciens, mais aussi pour avoir été, dans un contexte socioculturel difficile, le premier à proposer une méringue carnavalesque d’inspiration racine à la fois authentique et de grande qualité. Impossible d’oublier l’emblématique “Ke m pa sote”, sortie en 1990. Mais au-delà des rythmes entraînants, le groupe s’est surtout démarqué par des textes dénonçant une société gangrenée par la corruption et l’immoralité.
À l’occasion du 18 novembre 2025, date marquant le 222e anniversaire de la Bataille de Vertières, événement décisif ayant conduit à notre indépendance, il est essentiel de revisiter le répertoire de Boukman Eksperyans. Le moment est propice pour s’interroger : leur musique a-t-elle réellement contribué au changement de comportement souhaité, notamment chez nos dirigeants politiques dont l’enrichissement personnel semble rester l’unique ambition ?
K + K = 2K, le cri d’un peuple trompé
En 2003, le groupe lance “K + K = 2K”. Tous les Haïtiens comprennent le sens de cette formule percutante : l’expression de la lassitude d’un peuple constamment manipulé par des politiciens corrompus. Dès l’introduction, les musiciens invitent les dirigeants à s’inspirer de figures telles que Makandal, Boukman, Dessalines, Mandela, Malcolm X ou encore Che Guevara. Mais plus la chanson avance, plus le constat devient amer.
Selon cette méringue, certains politiciens seraient même allés jusqu’à réclamer un embargo destructeur contre leur propre pays pour satisfaire leur soif de pouvoir. Puis, une fois Haïti effondré, ils n’ont pas hésité à tendre leur “bol bleu” aux puissances étrangères, faisant fi de leur responsabilité dans le naufrage national.
Boukman Eksperyans dénonce également le programme d’ajustement structurel du FMI, soutenu par certains économistes locaux. “Tu veux me tromper (ou vini blow m)”, chantent-ils, accusant les promoteurs de ces politiques de vouloir entraîner le pays dans une misère encore plus profonde à coup de mensonges. Pour les musiciens de Boukman Eksperyans, ce sont de véritables mercenaires.
2015 : “Pèpè yè” et la tragédie post-séisme
Janvier 2015. Cinq ans après le séisme meurtrier ayant fait plus de 300 000 morts et des centaines de milliers de sans-abris, la solidarité internationale mobilise des milliards de dollars pour la reconstruction. Dans “Pèpè yè”, Boukman Eksperyans dresse un constat accablant : c’est la mafia qui nous dirige.
Face à cette réalité insupportable, les musiciens appellent les “Lwa ginen” à la rescousse. Ils dénoncent une classe politique, religieuse et associative qui ne cherche qu’à “souse manmel”, exploiter jusqu’à la dernière goutte la vache nourricière. Même ceux qui se disent chrétiens n’hésitent pas à invoquer Jésus, tant la situation est absurde, dramatique et presque irréparable. Haïti est devenue un État “pèpè”, dirigé par des politiciens “pèpè”. “Ti chat, gwo chat”… tous corrompus.
En ce 18 novembre 2025, les refrains de Boukman Eksperyans résonnent tristement inchangés. Les parasites continuent de «sucer les mamelles» du pays, asséchant nos ressources financières et humaines. La jeunesse, sacrifiée, tombe entre les mains de chefs terroristes. Le chaos est tel que beaucoup ne parviennent même plus à le percevoir, au grand bonheur de nos détracteurs, témoins impuissants ou complices de ce spectacle lamentable.
222 ans après Vertières, quelle honte pour nos héros ! Eux qui ont risqué leur vie pour nous léguer cette patrie, aujourd’hui en péril. Haïti possède l’une des plus belles histoires du monde. Il est temps d’entreprendre une nouvelle conquête pour préserver cet héritage. Les menaces sont visibles et nos ennemis sont désormais parmi nous.
“Que ceux qui veulent redevenir esclaves sortent de ce camp !”, s’exclamait Jean-Jacques Dessalines la nuit de la bataille du 18 novembre 1803.
“Dans nos rangs, point de traîtres du sol, soyons seuls maîtres”… Qui ne connaît ce passage de La Dessalinienne ? Si ces mots étaient vécus et non réduits à des slogans, nous serions aujourd’hui le peuple le plus heureux du monde, 222 ans après notre victoire. Malheureusement, la réalité est tout autre.
En 1999, Boukman Eksperyans rappelait déjà que les Haïtiens doivent travailler davantage car “giyon dyòl bòkyè” , les beaux parleurs, sont nombreux. Ils aspirent tous à nous gouverner, dans une démocratie en décomposition. Un pays sans élections, privé de l’essence même de la démocratie. On pourrait se demander si ces paroles ne sont pas prononcées par ceux-là mêmes qui les provoquent.
“A la moun yo mechan !!! A la moun yo sinik !!!” lance le groupe. Peut-être feraient-ils mieux d’aller jouer au Monopoly.
Eddy Trofort



















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