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Haïti-Société : La mobilisation populaire de l’Été 2022 en Haïti, au-delà des luttes locales



Par Hancy PIERRE, professeur à l’Université




Les 6 et 7 juillet 2018, une importante émeute a eu lieu en Haïti, à la suite d’une décision du gouvernement d’alors visant à augmenter le prix de l’essence à la pompe. Ce, au regard des conditionnements d’un portefeuille du Fonds Monétaire International pour mettre fin à la « subvention » du pétrole. Si ce gouvernement s’est rétracté en la circonstance, son successeur est revenu à la charge pour faire subir cette fois-ci à l’essence deux importantes augmentations de prix en une année, en dépit de la détérioration des conditions socio-économiques et d’une sévère insécurité alimentaire que connait le pays. En effet, l’actuel gouvernement, dans une adresse le 18 mars 2022, « s’est donné un certain satisfecit pour l’amélioration, dit-il, des rapports entre son gouvernement et le Fonds Monétaire International (FMI) » (Le National du 22 mars 2022). Ce qui est étrange comme annonce officielle quand on sait généralement les retombées néfastes de l’application des mesures dictées par cet Organisme financier notamment dans une économie faible comme Haïti.


Les nouveaux tarifs appliqués à la vente de l’essence sont portés à plus du double alors que le prix du baril de pétrole à la baisse sur le marché international. En Haïti , la situation se présente paradoxalement de la sorte :la gazoline de 250 gourdes à 570 gourdes ; le diesel de 353 gourdes à 670 gourdes et le kérosène de 352 à 665 gourdes alors utilisé par la grande majorité pour les besoins domestiques. Cette décision effective à partir du 14 septembre 2022 a causé de vifs troubles à travers tout le territoire du pays, greffés sur la mobilisation populaire initiée depuis le 22 aout 2022 contre la vie chère, la dévaluation de la monnaie nationale et l’insécurité. Cette ambiance s’installe jusqu’au moment où nous rédigeons cet article ce vendredi 7 octobre 2022 qui coïncide à la date de la sollicitation d’une force militaire spécialisée pour faire face à la crise humanitaire en Haïti, par suite d’une résolution prise la veille en Conseil des Ministres.


Depuis la hausse du prix des produits pétroliers, nous avons assisté sans relâche l’interface des agents externes pour justifier le bien-fondé des prescrits du Fonds Monétaire International. Les représentants de gouvernements étrangers les plus influents dans la politique intérieure d’Haïti se sont montés au créneau pour soutenir les mesures d’ajustement adoptées par le gouvernement haïtien et laissent insinuer des mouvements de rue comme des activités supportées par des gangs associés à certains membres du secteur privé lésés par des récentes actions de redressement dans les douanes.


Le secrétaire général des Nations Unies ainsi que le secrétaire général de l’Organisation des Etats Américains sont les plus actifs à envisager des « issues à un dénouement de la crise », en la présence éventuelle d’une force d’intervention dite robuste selon le vœu du secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres, dans un entretien accordé à RFI et France 24 , à l’occasion de la 77e Assemblée générale des Nations Unies à New York pour qui : »il faudra avoir une force robuste capable de mettre fin à l’action des gangs « ». Ce dernier poursuit : « du point de vue je dirais de principe je crois qu’on devrait subventionner les familles et pas le carburant, et ce n’est pas exactement la même chose. Parce que ça permet aux familles d’obtenir pour les combustibles fossiles « (Haïti en Marche, 20 septembre 2022).


Les revendications contre les mesures d’ajustement structurel constituent pour les mouvements sociaux un enjeu politique considérable. Dans notre continent, le Venezuela, lors de la présidence du social-démocrate Carlos Andres Perez, fut un test pour évoquer l’intervention pro-active des agents internationaux comme défenseurs du projet de la globalisation néo-libérale. En effet, l’opération baptisée le « caracazo » de 1989 fut l’objet d’une répression policière inédite la plus violente. Les mesures contestées par la population concernent alors la libération du taux de change et une dévaluation de la monnaie de 170% associée à des mesures de régulation drastique. Les augmentations des tarifs du transport public étaient de l’ordre de 30% et de 83% du prix de l’essence pour un pays producteur du pétrole (Lezama,2010).


Cette situation inédite nous porte à réviser les points les plus saillants d’une position de Theriault (1997) dans son article intitulé « l’acteur sans scène ». En effet, cet auteur a fait état de la crise de l’Etat régulateur et comme Etat redistributeur remet en question l’idée même d’une communauté politique. Ce qui annonce déjà l’affirmation du sujet dans la disparition de l’acteur. C’est la dilution de l’action collective dans ce contexte. L’acteur auquel il fait référence est » l’individu qui joue sur scène, inextricablement inscrit dans des rapports sociaux dont il ne peut définir lui-même le sens autrement que par l’action ». La scène était appelée à disparaitre, au regard des études portant sur l’action collective. Aussi l’Etat-nation a-t-elle disparu comme scène de l’action collective. La dimension planétaire vient intéresser les mouvements sociaux comme nouvelle scène (écologistes, pacifistes, féministes, etc.). C’est un déplacement vers l’espace-monde. Ce qui fait en même temps appel à un acteur sans scène. Car il tend à mobiliser des consciences individuelles décrochées de contextes sociaux particuliers (Hegedus, 1989) cité par Theriault


La question politique haïtienne se déplace des intérêts immédiats des acteurs haïtiens pour se transposer sur l’échiquier international, Loin de s’approprier le droit de solliciter l’entraide dans le cadre de la coopération internationale, il s’agit d’une consécration de sa subalternisation à un consortium de puissances impérialistes. Sans vouloir remonter à la genèse de la formation de l’Etat Tayno, suivant la logique de la colonialité de pouvoir le centre des décisions part structurellement des Etats métropolitains. Cette logique se perpétue devant l’inertie dans les luttes politiques visant la déconnexion de l’ordre capitaliste instituées dans le cadre de la révolution haïtienne de 1804.


L’Etat-nation tend à disparaitre et faire dissiper du même coup les retombées des luttes sociales et politiques du fait d’un déplacement de la scène des luttes vers des espaces disséminés dictés par la globalisation capitaliste. Toutefois l’expérience des luttes révolutionnaires haïtiennes se fut inscrite dans une perspective internationaliste tout en œuvrant à l’extinction des mailles du système esclavagiste et racial globalisé existant. Le terrain local ne fut pas la principale sphère à attaquer pour faire face à l’ennemi commun associé au système global issu de l’économie-monde établi dès 1494.


Les principes immuables des luttes politiques haïtiennes ses sont abandonnés pour embrasser les valeurs des anciennes métropoles coloniales. Tout s’explique par le rôle subalterne joué par les classes dominantes locales en noyant tout intérêt national en dépit des contradictions existantes aptes à créer des marges de manœuvre et d’autonomie. L’Etat-Nation fut d’abord menacé par des élans annexionnistes des éléments des classes dominantes dans l’histoire politique liée aux interventions de 1915,1994 et 2004 avec une porte ouverte aux invitations des forces d’occupation dans les moments de la « crise actuelle » et en l’absence de consensus national. La conjoncture 2019-2022 nous a permis d’observer des mécanismes de domination qui soutiennent la gestion politique de la cité et mettent en déroute tout principe fondateur d’auto-détermination de peuple et de souveraineté nationale.

Les mouvements de citoyennes et de citoyens se sont détournés de leur cible principale qui se soit mue de l’espace local au global où le capital international en est le nœud gordien pour saisir les luttes des nouveaux mouvements sociaux. Dans le cas haïtien, un revirement historique a été constaté, dans le passage de « l’Etat-Nation » à une » nouvelle entité « sous la coupe des institutions internationales dans les domaines financiers, politiques et culturels. Delà s’amorçait la rhétorique de la démocratie restreinte issue des approches de transition des années 1980 qui accordait une plus grande autonomie à l’exécutif notamment la présidence (Espinal, 1987). Entretemps s’est survenue la chute du Mur de Berlin qui a eu à engager un réagencement de l’entreprise politique et faire prévaloir la logique du marché, tout en imposant des politiques d’ajustement structurel promues dans le cadre de l’organisme du Fonds Monétaire International.


Dans ce contexte s’inscrit l’un des accrocs au respect du principe de souveraineté nationale dans le fonctionnement d’alors d’une institution d’observation électorale sous l’égide de l’Organisation des Etats Américains. Ce qui vient sonner le glas aux processus de consensus nationaux tel le Pacte de consensus de 1990 en la présidence d’une juge de la Cour de cassation assistée d’un Conseil d’Etat qui implique la représentation des membres de la société civile. Tout mécanisme propre à trouver un consensus national s’est de plus en plus érodé par les effets néfastes des politiques du Fonds Monétaire International voire détruit à partir du sanglant coup d’Etat militaire du 30 septembre 1991 contre le président démocratiquement élu, le révérend père Jean Bertrand ARISTIDE.


C’est l’avènement depuis lors de nouveaux acteurs dans la partition des agents externes non élus dans les négociations dans la sphère nationale de l’Etat haïtien en l’occurrence des ambassades et des organismes internationaux (Fonds Monétaire International, Banque Mondiale) ainsi que les Nations Unies et L’Organisation des Etats Américains.





Repères bibliographiques

-Paula Vasquez Lezama « le Caracazo (1989) vingt après, de l’économie à l’instrumentalisation politique de l’émeute au Venezuela in Revue Internationale de Politique Comparée 2010/vol 17 p127-142.cairn.ifo https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2010-2pages-127htm consulte le 7 octobre 2022.

-Yvon Theriault , « l’acteur sans scène » in sous la direction de Juan-Luis Klein,Pierre-Andre Tremblay et Hugues Dionne Au-delà du néolibéralisme. Quel rôle pour les mouvements sociaux ? Presses de l’Université du Québec, Québec 1997.pp187-195.

-Sous la direction de Justin Daniel, Les iles Caraïbes- Modèles politiques et stratégies de développement, Editions KARTHALA, Paris 1996. 364p.-

-Charles Vorbe, « Séisme, humanitarisme et interventionnisme en Haïti », in Revue Cahiers du CEPODE No 2, 2e année, Editions CEPODE, Port-au-Prince, Mai 2011. Pp 71-86.-

-Charles Vorbe, « Mondialisation néolibérale, droit et sous-développement en Haïti », in Revue Les Cahiers du CEPODE, Editions CEPODE no1,1er année, Port-au-Prince, Septembre 2009.-

--Gerard Vindt, 500 ans de capitalisme. La mondialisation de Vasco de Gama à Bill Gates, Edtions Mille et unenuits, Paris 1998.

-Chenet Jean Baptiste, Mouvements populaires et Partis politiques (1986-1996): la restructuration manquée de l’ordre politique agonisant. (Thèse doctorale), Science Politique, Université de la Sorbonne Nouvelle, Paris III, France. Soutenue 2011. Hancy Pierre, “Les soubassements de la transition démocratique dans l’îled’Haïti des années 1980 à nos jours”Publié le 2019-03-13 | lenouvelliste.com-

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