L’affaire de corruption qui éclabousse trois membres du Conseil Présidentiel de Transition (CPT) n'est pas simplement un énième scandale qui frappe une institution haïtienne. Elle représente un symptôme plus profond d'une dérive où la quête du pouvoir et de l'enrichissement personnel semble l'emporter sur la responsabilité et l'engagement envers la nation. Smith Augustin, Louis Gérald Gilles, et Emmanuel Vertilaire, accusés d’extorsion de 100 millions de gourdes à la Banque Nationale de Crédit (BNC), ainsi que d’avoir obtenu des cartes de crédit dans des conditions douteuses, montrent une fois de plus que même dans une structure censée ramener l’ordre, le désordre règne en maître.
Le président du CPT, Edgard Leblanc Fils, dans son message préenregistré, a pris la posture que l’on attendait : celle du défenseur de l'intégrité. En appelant à la démission des conseillers incriminés, il tente de protéger l'image de l'institution. Cependant, le fait qu'une résolution ait été adoptée pour permettre aux membres mis en cause de rester en fonction, bien que démis de la présidence tournante, démontre une complicité silencieuse, voire une certaine tolérance de l'impunité au sein du CPT.
Comment expliquer que des individus suspectés de détournement de fonds publics puissent être protégés par leurs pairs au sein même de l’instance chargée de la transition démocratique et institutionnelle du pays ? Ce dilemme met en lumière une crise de moralité au sommet de l'État. La défaillance de cette résolution reflète non seulement l'absence de volonté politique pour combattre véritablement la corruption, mais aussi la culture de protection entre les élites qui gangrène les institutions haïtiennes depuis trop longtemps.
Le silence assourdissant de nombreux acteurs politiques face à cette affaire illustre encore un autre problème fondamental : l’absence de voix fortes prêtes à dénoncer ces pratiques et à revendiquer un changement radical. L'Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a fait son travail en publiant un rapport accablant et en demandant l'engagement de poursuites judiciaires, mais quelles sont les chances que cette affaire aboutisse réellement à des sanctions ? L'Histoire nous enseigne que de telles affaires se terminent souvent par des compromis, des arrangements discrets, et une absence de réelle justice.
Si le CPT, qui est censé symboliser une phase de transition vers la reconstruction institutionnelle, tombe lui-même dans le piège de la corruption et de l'opacité, que peut espérer le peuple haïtien de cette transition ? La crédibilité de cette institution est désormais sérieusement entachée, et la confiance du public, déjà fragile, risque de disparaître définitivement.
Il est temps d’agir avec fermeté. Les trois conseillers impliqués doivent non seulement démissionner, mais aussi faire face à la justice. Plus largement, il est urgent de réformer les mécanismes de contrôle et de transparence au sein des institutions publiques haïtiennes. L’impunité ne doit plus être une norme, et la société civile ainsi que les médias ont un rôle fondamental à jouer pour maintenir la pression et exiger des comptes.
Si rien n’est fait, ce scandale, comme tant d’autres avant lui, ne fera que renforcer la perception d’un État incapable de protéger les intérêts de ses citoyens. Il incombe aux leaders comme Edgard Leblanc Fils de passer des mots aux actes et de montrer que l’intégrité n’est pas une posture médiatique, mais une ligne de conduite non négociable. C'est seulement à ce prix que le CPT pourra retrouver un semblant de légitimité et redonner espoir à un peuple lassé des promesses non tenues. MP/HPN
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