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Port-au-Prince : patrimoines détruits, symboles profanés…, plus de deux siècles d’histoire à la merci des gangs armés




Au cours des ans, Port-au-Prince est devenu un « monstre urbain ». C’est du moins la triste et objective conclusion faite en mai de l’année 1991 par l’historien Georges Corvington dans sa monographie de la capitale haïtienne, dénonçant pour ainsi dire le fait que le laxisme, la sottise et l’incompétence de certains hommes aient transformé lamentablement la physionomie de cette ville amoureusement blottie au fond d’une des plus merveilleuses baies du monde. En 2024, soit trente-trois (33) ans après ce constat amer, qu’est-il advenu du « monstre urbain » ? Dans sa course à reculons, il s’est métamorphosé en une géhenne où règnent des gangs armés qui détruisent, avec hargne et passion, tout ce qui semble rappeler encore timidement que cette ville-phare fondée il y a environ 275 ans (novembre 1749) était, jadis, la métropole caribéenne de première grandeur sinon toujours de première classe.


« Bien coupables les gouvernements qui se désintéressent du patrimoine national et ne se soucient pas d’appliquer ou d’édicter des mesures générales de protection, et tout aussi fautifs les nouveaux riches qui n’ont de préoccupation que pour leur confort et ne ressentent aucune gêne à voisiner avec des cahutes, pourvu que dans leur somptueuse demeure ils soient à l’aise », déplorait sous couvert du patriotisme l’auteur de Port-au-Prince au cours des ans, tout en s’interrogeant avec véhémence : « Peut-on espérer, pour le respect du nom haïtien et la régénération de la capitale d’Haïti, voir disparaître cette mentalité égoïste et dissolvante ? » Bien au contraire ! A la mentalité égoïste et dissolvante s’est ajoutée la lutte aveugle et acharnée pour le pouvoir générant des ‘espaces sociaux vides’, précipitant de manière effrénée la capitale haïtienne et ses environs dans l’apocalypse. Personne ou presque n’a crié gare et empêché de nuire ceux qui sont aiguillonnés par la folie de la destruction. Aujourd’hui, on en paie le prix.

Patrimoines et symboles sabordés, menacés…


À Port-au-Prince, depuis bien longtemps, il ne reste plus ou presqu’aucun échantillon d’anciennes maisons aux lignes élégantes et aux formes harmonieuses, de quartiers dégageant un charme séducteur qui ébahissaient tant Georges Corvington le portant ainsi à faire savoir à la postérité, dans un ouvrage majeur en sept (7) tomes (de 1743 à 1950), ce qui a constitué le cadre de cette ville, sa vie sociale, sa vie littéraire, ses institutions, ses milieux d’affaires, ses plaisirs et ses jeux… Les catastrophes naturelles et anthropiques ont tout emporté sur leur passage ; Port-au-Prince est dépecée, éventrée, édentée…, moribonde. Ainsi, des patrimoines comme par exemple la Première église baptiste de Port-au-Prince (1836), la Faculté de droit et des sciences économiques (1860), l’Archidiocèse métropolitain de Port-au-Prince (1861), le Petit Séminaire Collège Saint-Martial (1865), l’Eglise Sainte Anne (1870), Le Nouvelliste (1898), la Faculté des sciences (1902), la Cathédrale de Port-au-Prince (1914), l’Hôpital de l’université d’Etat d’Haïti (1916), la Bibliothèque nationale d’Haïti (1939), l’Ecole Normale Supérieure (1947), Radio-Télévision Caraïbes (1949) entre autres institutions cinquantenaires, centenaires, voire bicentenaires, sont à la merci des caïds réunis autour de la coalition « Viv ansanm », dénomination qu’ils portent très mal.


Cœur symbolique de la capitale, jadis lieu de pouvoir, le Champ-de-Mars sert aujourd’hui de marchepied aux bandits armés qui l’investissent intermittemment pour attaquer le Palais national (1920) qui résiste encore, sans être inexpugnable à l’évidence. Sous équipées, les forces de l’ordre font de leur mieux pour repousser les ‘terroristes’ à chaque fois qu’ils envahissent le lieu de l’hommage aux Héros de l’Indépendance. Mais, en dépit de la résistance dont font montre les unités spécialisées de la PNH, toute la nation vit dans la hantise que le haut symbole du pouvoir politique, le Palais présidentiel, tombe un jour entre les mains des caïds. On croise les doigts, on prie les saints, on invoque les loas, on conjure le pire…


Quo va dis Haïti ?

Les lieux historiques, les espaces sacrés, les écoles et centres commerciaux à grande réputation n’existent plus. Haïti est aujourd’hui plus qu’hier dépouillée de sa mémoire, de tout ce qui donnait à voir et à entendre son histoire, ses rêves, ses espoirs, ses déboires. C’est le déracinement. C’est la mort de tout. La capitale haïtienne, devenue haut lieu d’insalubrité par excellence avec le temps mais gardant toutefois ses contrastes et son pittoresque, n’est que l’ombre d’elle-même à l’heure où s’impose la loi de la déraison des gangs armés. Dans leur folie cynique, les caïds ont tué une fois pour toute la vie bouillante de Port-au-Prince comme les Politiciens, avant eux, ont éliminé dans leur vision crétinisante son carnaval. La Première République noire perd définitivement cette capitale qui la résume, cette capitale où se trouvent éparpillés les restes de ce qui reste de l’Etat. Comment décrire aujourd’hui Port-au-Prince dans ses éléments politiques, sociologiques, économiques, archéologiques et artistiques ? Qui pour prendre la relève après l’historien Georges Corvington ? Qui racontera sereinement la scabreuse et fatale histoire de Port-au-Prince durant les dix, trente, cinquante, soixante-dix dernières années ?...


GeorGes E. Allen

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