Le beau n’est pas exclusivement exotique. Définitivement, il existe une esthétique haïtienne qui, têtue, ne veut pas mourir sous le poids du chaos quotidien, encore moins s’estomper face à la grandiloquence d’une culture occidentale dominante.
C’est du moins ce que donne à voir et à entendre le vidéoclip, Lalin ak solèy, du groupe Zafèm, sorti le 21 juin, jour de la fête de la musique. En effet, en six (6) minutes, une réalité haïtienne à l’état pur est montrée, démontrée, exhibée à la face du monde, à travers des images qui parlent aux sens, jusqu’à émerveiller le bon sens. Pour qui sait réellement voir et apprécier sans se laisser succomber à la tentation de la critique vaine et stérile, la chanson vidéoclipée de la bande à Dener Ceide est une tentative réussie de réconciliation de l’être haïtien à son identité, sa culture…, sa culture profonde, dirait-on. Dans sa conception scénique, Lalin ak solèy est la suite harmonieusement logique de « Ayiti se » du défunt génie, Mikaben. Café fumant, jeu populaire traditionnel, gallodrome, danses folkloriques, « Fanm kreyòl » rappelant les traits magnifiquement exubérants de la sublime ‘’Choucoune’’ d’Oswald Durant…, un bon nombre d’éléments constitutifs de la culture et de l’identité haïtiennes s’articulent pour donner libre cours à la concupiscence, à la fascination transcendante. N’en parlons pas, n’en parlons plus du ton poétique bien trempé et des accords musicaux magistralement ordonnancés de ce chef-d’œuvre du duo gagnant… Tout a déjà été dit.
Il est flagrant que, tant par leurs choix vestimentaires que par leurs goûts artistiquement décoratifs, les compères Réginald Cangé et Dener Ceide opposent une fin de non-recevoir, sinon un refus de principe à cette culture occidentale, s’imposant dans l’histoire de l’Art moderne comme la seule Culture légitime. Dans cette vidéo, les gratte-ciels, les voitures de luxe, les femmes joliment blanches (sans discrimination, ni dénigrement) disparaissent, cédant ainsi la place aux ajoupas, aux chevaux et aux beaux paysages fleuris des villes de province dans toute leur magnificence. Est-il révolu le temps de la rupture identitaire qui se traduisait ordinairement dans les vidéoclips de groupes musicaux haïtiens ? Il est trop tôt pour le dire et pour le croire. Presque trop tard pour ne pas le souhaiter. En tout cas, Zafèm s’est fait l’ambassadeur public de la culture et de l’identité haïtiennes mises sous le feu des projecteurs ; dans l’espoir que d’autres artistes et musiciens lui emboîteront le pas.
Hommage mérité
Entre Lalin ak solèy s’impose la beauté de Yole Dérose, air majestueux. L’apparition marquée de la veuve d’Ansy dans le vidéoclip de Zafèm est d’autant plus bien pensée que l’interprète de ‘’Tonton Nwèl cheri’’ fait figure de « Mètrès Lakou ». Là encore, c’est un pénétrant témoignage de respect à la culture haïtienne trouvant son incarnation en une femme, dont l’œuvre traverse le temps… Chapeau Messieurs, Yole Dérose, Tambour-major de la musique haïtienne, est superbement honorée !
Que reste-il à dire sinon que le clip Lalin ak solèy ne trahit aucunement l’euphorie suscitée par cet album sorti il y a un an (mai 2023) et dont toute la fraîcheur reste intacte.
GeorGes E. Allen
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