Le départ de Jean-Claude Duvalier a inauguré une ère politique nouvelle en Haïti. Cette période marquée par une instabilité chronique a donné naissance à une crise sociale aiguë aggravée par la mainmise d’une oligarchie sur les maigres ressources du pays. Aujourd’hui, l’absence de patriotisme, le désespoir généralisé, la dépendance du pays vis-à-vis de l’étranger qui s’accroît considérablement, et la ferme volonté des jeunes de quitter l’Île par tous les moyens, sont les manifestations de la dégénérescence de notre société.
Les tentatives pour expliquer cette décomposition sont pour la plupart stupides et irrationnelles. Des religieux mettent en avant ce qu’ils appellent « la malédiction de la cérémonie de Bois Caïman », en ce qui a trait au vodou. Des gens racistes croient qu’il s’agit du destin de tous les peuples « noirs » de sombrer inéluctablement. Pour le pouvoir politique et certains politiciens, cette crise profonde est le résultat de plusieurs décennies de division. Mais comment expliquer cette dégénérescence ?
Un survol historique rapide nous permet de comprendre que l’occupation américaine de 1915 peut-être considérée comme l’élément déclencheur de cette déchéance puisque l’intervention américaine a modifié substantiellement le système socio politico-économique haïtien, et c’est ce système, aujourd’hui pourri jusqu’à l’os, qui est responsable du sous-développement chronique du pays et la misère qui ronge le peuple.
Entre autres conséquences, la migration massive d’Haïtiens vers la République Dominicaine et Cuba pendant des décennies, le désespoir et l’abandon des terres agricoles. En effet, cette situation a créé les conditions qui allaient favoriser la prise du pouvoir par le docteur François Duvalier qui, par la suite, allait imposer une dictature des plus sanguinaires et rétrogrades de la région.
Conséquemment, on a assisté à une sorte d’interdiction de se réunir pour parler politique, de réfléchir et de s’exprimer librement. Et à tout cela, il faut ajouter l’obscurantisme de ce régime dictatorial qui n’a rien fait pour combattre l’analphabétisme, le manque d’infrastructures et la paupérisation croissante des masses haïtiennes. De l’autre côté du tableau, on a une oligarchie composée de militaires, de « Tontons macoutes », de « la bourgeoisie compradore » et certains subalternes qui s’enrichissent démesurément aux dépens de l’argent des contribuables.
Dans cette dynamique, l’État devient un espace d’ascension socio-économique pour la minorité au pouvoir et leurs proches. Ces pratiques antirépublicaines de corruption systématique creusent davantage le fossé entre l’oligarchie au pouvoir et la majorité qui se trouve dans une misère crasseuse, et entraînent du même coup une crise morale sans égale. C’est ce qui a donné naissance à un dialogue de sourds entre les élites et les masses. En 1986, la crise plus que séculaire et multiforme de la formation sociale haïtienne atteint l’un de ces moments les plus critiques. On observait alors un regain en intensité pour la participation dans les affaires politiques des différentes couches des masses défavorisées.
De l’accession d’Aristide à la magistrature suprême de l’État en passant par les coups d’État qui ont engendré des transitions en général manquées, sans compter les élections frauduleuses, Haïti n’arrive toujours pas à trouver la voie du développement. Les différentes interventions de l’ONU en 1994 et en 2004 n’arrivèrent pas non plus à améliorer les conditions d’existence de la grande majorité de la population. C’est ce qui justifie en partie les récentes migrations d’Haïtiens vers le Chili et le Brésil. Le mouvement #kotkobpetwokaribea avait donné malgré tout une lueur d’espoir. Des jeunes, des artistes, des militants politiques lançaient le mouvement et s’imposaient grâce à la « légitimité » de leurs revendications et/ou des acteurs. Mais, ce n’était pourtant que du vent, du feu de paille !
Aujourd’hui plus que jamais, il est impératif de renforcer les organisations de plus en plus revendicatives et inclusives qui veulent s’imposer dans une démarche de rupture avec la logique coloniale de l’État qui reste la cause de nos malheurs.
GA
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