Le plus grand péché des Haïtiens, c’est l’OUBLI. De cet oubli sont nées les crises d’hier et celles d’aujourd’hui. S’il est une vérité qui à la fois traduit et rabaisse l’Haïtien, c’est celle disant que « l’Haïtien est tout sauf Haïtien ». Aussi tragique et déshumanisant qu’il soit, ce truisme confirme l’état amnésique dans lequel nous évoluons, pardon ! fonctionnons, complaisamment, depuis plus de deux siècles. Nous avons tout oublié à commencer par l’histoire, notre histoire. L’oubli de notre histoire a engendré l’oubli de soi. D’où, nous sommes devenus n’importe qui, si ce n’est n’importe quoi. Le temps qui nous sépare de l’épopée de Vertières est long, deux cent dix-neuf (219) ans. Mais, la Bataille, quoique morte dans notre mémoire, demeure bien vivante pour ce qu’elle fut en soi, pour ce qu’elle est encore, et pour ce qu’elle représente dans l’Histoire du monde. Nous, Haïtiens, légataires de cette belle Violence révolutionnaire, avons pourtant oublié Vertières. Mais la France républicaine, elle, aujourd’hui encore, n’a rien oublié. Il n’y a, parfois, meilleure façon de s’en souvenir que de faire semblant d’oublier, que de ne pas en parler.
Indubitablement, nos malheurs existent et persistent parce que nous avons détourné aussi le regard de Vertières, le bout du tunnel de l’horreur. Au risque de se faire diagnostiquer pour atteinte supposée de syndrome de Stockholm, prenons en exemple l’ancien pays colonisateur, constructeur de catégories raciales et ethniques : la France. La France ne serait plus la France si elle s’était permise d’oublier la Prise de la Bastille (1789). Déduction simple : Haïti n’est plus Haïti, terre de Liberté, parce qu’elle a oublié Vertières. Pour les jeunes de dix-huit (18) à vingt-cinq (25) ans et plus, Vertières n’a ni essence, ni sens, ni contenu. C’est un lieu commun, une simple date parmi d’autres, un jour de congé qui libère, suivant le calendrier, du fardeau de l’école ou du boulot. N’évoquons même pas la commémoration « fade » et « froide » du 18 novembre institutionnalisée, depuis que les « autorités » se sont pliées aux ordres cyniques des gangs armés, grands Maîtres des lieux. Même si, au regard de l’Histoire, Vertières n’a pas besoin de nous pour être Vertières, comme Dieu n’a pas besoin des Hommes pour être Tout-puissant, toujours est-il que, comme l’a dit Lyonel Trouillot : « Il ne suffit pas à l’évènement d’avoir lieu pour s’inscrire dans la mémoire, il faut aussi qu’un pouvoir l’institue, le valorise ». C’est ce travail d’institutionnalisation et de valorisation que nous n’avions pas fait. Deux cent dix-neuf après, c’est cette grande tâche que nous sommes appelés à accomplir.
A l’heure où nous prétendons faussement chercher un Consensus, Vertières s’impose naturellement en exemple parfait des egos dépassés au profit d’un but commun : Vivre libre ou mourir ! Pour peu qu’elle ait été le dernier face-à-face entre le racisme colonial et la réalisation concrète du principe de l’égalité des races et de la liberté universelle, la Bataille de Vertières demeure la Source, notre planche de salut, l’exemple à suivre et à reproduire. 18 novembre 1803, c’était un vendredi comme aujourd’hui, 18 novembre 2022. L’histoire nous appelle ! D’ailleurs, qu’est-ce que le monde sinon l’Histoire des pays qui oublient leur histoire pour enfin devenir n’importe quoi et l’histoire des pays qui agissent toujours à la lumière de leur histoire pour devenir plus grands, plus forts, plus prospères…, puissants, hyperpuissants. Dans sa dimension historique humaine et fraternelle reproduisons Vertières, aujourd’hui !
GeorGes Castiba Allen
Комментарии